Fine Alpine Art
Histoire des Alpes

Histoire de la montagne XVIIème siècle

Ecrit par Thomas Crauwels
Histoire de la montagne : XVIIème siècle

Le XVIIe siècle a un rapport plus contrasté envers la montagne que le XVIe siècle, et parfois plus négatif. Cela est en partie dû au léger refroidissement du climat qui sévissait alors. Les glaciers croissent et emportent parfois sur leur passage une église ou des champs, causant de grands dommages, mais rendent aussi la pratique de la montagne plus difficile. La montagne est parfois perçue comme une punition divine, comme en témoigne Horace-Bénédict de Saussure :

Le petit peuple de notre ville [Chamonix] et des environs donne au Mont Blanc et aux montagnes couvertes de neige qui l’entourent le nom de montagnes maudites ; et j’ai moi-même ouï-dire dans mon enfance à des paysans que ces neiges éternelles étaient l’effet d’une malédiction que les habitants de ces montagnes s’étaient attirée par leurs crimes.

Des processions religieuses servaient à conjurer le sort. Dans le cas de Chamonix, la légende veut que le mont Malet – aujourd’hui la dent du Géant (4013m) – soit la demeure d’un démon, envoyé ici en exil jusqu’à la fin du monde par saint Bernard de Menthon, le fondateur de l’hospice du Grand-Saint-Bernard, le démon en question occupant auparavant le col du même nom. Les habitants de Chamonix lui attribuaient l’avancée des glaciers et cherchaient à s’en protéger par l’exorcisme, organisant des processions et implorant Dieu pour les préserver de ce péril.

Ces croyances expliquent qu’aujourd’hui encore de nombreuses montagnes des Alpes portent un nom négatif : mont Maudit, aiguilles du Diable, etc.

Montagnes maudites

La montagne a même pu être perçue comme une preuve de la chute de l’homme et de la création après le péché originel, à l’exemple du théologien et écrivain anglais Thomas Burnet (1635-1715), qui perçoit la montagne comme dépourvue de toute utilité :

Burnet pensait en fait que la terre était à l’origine lisse comme un œuf et que les montagnes ne sont apparues que lors du déluge. Les Alpes sont donc pour Burnet la trace du péché ayant amené au déluge, des ruines, un amas de décombres.

Baisse de fréquentation des Alpes

Le changement climatique au XVIIe siècle a également fait disparaître quelques chemins de montagne, comme en témoigne par exemple Philibert-Amédée Arnod. Il avait voulu traverser le massif du Mont-Blanc par le col du Géant en 1689 en empruntant un itinéraire utilisé au Moyen Âge. Il doit renoncer aux séracs du Géant, comme le raconte Arnold dans la “Relation des passages de tout le circuit du Duché d’Aoste venant des provinces circonvoisines avec une sommaire description des montagnes (1691 et 1694).”

Ainsi, le nombre de visiteurs se rendant dans les Alpes au cours du XVIIe siècle a diminué par rapport au siècle précédent, surtout en hiver, comme le montre le dépouillement de documents et d’archives d’époque. Si un regain de fréquentation est perceptible à partir de 1650, cela reste sans commune mesure avec celle connue dans les Alpes au cours du XVIe siècle. Cette baisse de fréquentation est aussi due à la situation politique européenne, par exemple la guerre de Trente Ans (1618-1648). Aucune exploration systématique et aucune expédition d’envergure n’ont ainsi été effectuées au cours du XVIIe siècle.

Première carte ayant pour objet les Alpes

« Les Montagnes des Alpes où sont remarqués les passages de France en Italie, le duché de Milan et les estats du duc de Savoye » de Nicolas Sanson (1676)
« Les Montagnes des Alpes où sont remarqués les passages de France en Italie, le duché de Milan et les estats du duc de Savoye » de Nicolas Sanson (1676)

Les premières représentations des Alpes

Pour autant, les montagnes ne sont pas absentes des pinceaux des peintres ou des planches des graveurs, et c’est au XVIIe siècle qu’apparaissent les premières représentations des Alpes. Elles apparaissent aussi au début du XVIIe siècle dans les gravures représentant les villes, notamment chez Nicolas Tassin et Melchior Tavernier, même s’il n’y a aucune exactitude topographique

Une des premières représentations fidèles d’un glacier

La vue du glacier de Grindelwald par Joseph Plepp (1595-1642), parue dans Topographia Helvetiae, Rhaetiae et Valesiae de Matthäus Merian en 1642, compte parmi les premières représentations fidèles d’un glacier. La légende sous l’image évoque l’avancée du glacier : « La glace ou le glacier qui sort du sol progresse et repousse avec impétuosité et un vacarme énorme tout ce qui se trouve devant lui. » Le texte de Merian, dont le souci d’observation est évident, témoigne lui aussi de la conscience de l’avancée des glaces :

La montagne, sujette à la croissance, a recouvert depuis cet endroit [la chapelle dédiée à sainte Pétronille] : de telle façon que les gens du pays ont observé et assurent que cette montagne avance, poussant devant elle sa base et des terres, si bien que les belles prairies et les pâturages qui y étaient auparavant ont disparu pour devenir la montagne sauvage et déserte. Même, dans maint endroit, les maisons et les huttes des paysans ont dû reculer à cause de cette croissance.

Joseph Plepp, Abbildung des Gletschers im Grindelwald in der Herrschaft Bern, gravure publiée dans le Topographia Helvetiae, Rhaetiae et Valesiae de Matthäus Merian en 1642.
Joseph Plepp, Abbildung des Gletschers im Grindelwald in der Herrschaft Bern, gravure publiée dans le Topographia Helvetiae, Rhaetiae et Valesiae de Matthäus Merian en 1642.

Des personnages sont représentés au premier plan sur la gauche de la composition, deux marcheurs, dont l’un indique le paysage à son compagnon, et un cavalier, en l’occurrence un voyageur. Cette planche est à ce titre un bon exemple de la Topographia, ouvrage qui se conçoit également comme un guide de voyage et où les illustrations mettent fréquemment en scène des voyageurs, par exemple un cavalier accompagné d’un guide se déplaçant à pied. Les personnages contemplant le paysage ou plus particulièrement des curiosités sont également fréquents. Cette gravure a été reproduite dans plusieurs ouvrages d’époque, notamment Les Délices de la Suisse d’Abraham Ruchat.

Albrecht Kauw et le panorama de Grindelwald

Albrecht Kauw (1616-1681) choisit un point de vue similaire mais plus éloigné pour son aquarelle de 1669, plus précisément Bussalp (2100m), sur les hauteurs de Grindelwald. Elle résulte d’un parcours effectué par ses soins sur les terres de la famille von Erlach et s’inscrit dans une suite de quatre-vingts vues, toutes réalisées à l’aquarelle. Le choix des lieux représentés par Kauw semble avoir été conditionné par la Topographia Helvetiæ de Merian, dont Kauw pensait faire de sa série un complément. Ainsi, le peintre bernois n’a produit aucune vue de Aarau, Baden, Berne, Bienne, Lausanne ou encore Thoune, pour ne citer que les lieux les plus importants. Le souci ici est donc plus topographique – représenter des propriétés domaniales – qu’esthétique. Cette vue devait en outre servir de base à une peinture d’apparat, comme en atteste un document d’époque :

Durant l’été de cette année [1668] se trouvait à la maison de campagne un étranger, qui peignait à l’aquarelle l’Eiger, le Mettenberg et le Wetterhorn, mais aussi des images de l’église et des maisons à côté. Le pasteur Erb disait qu’il allait terminer une grande illustration de la vallée de Grindelwald, sous la commande du seigneur von Erlach du château de Spiez, qu’il était un peintre et qu’il s’appelait Albrecht Kauw.

Albrecht Kauw, Les Alpes bernoises, vues de Grindelwald, 1669, plume et aquarelle sur papier, 27,5 x 79,8 cm, Bernisches Historisches Museum.
Albrecht Kauw, Les Alpes bernoises, vues de Grindelwald, 1669, plume et aquarelle sur papier, 27,5 x 79,8 cm, Bernisches Historisches Museum.

L’artiste se représente de dos en train de dessiner le paysage, moyen d’attester de la véracité de la représentation. La présence d’une laboureuse à ses côtés renforce cette véracité de la représentation : elle est un témoin du processus artistique en train de se dérouler sous ses yeux.

Félix Meyer

Félix Meyer (1653-1713) est un peintre de paysage suisse. Il est notamment connu pour avoir peint le glacier inférieur de Grindelwald vers 1700, un tableau s’inscrivant dans une suite de trente-deux vues des phénomènes naturels de la Suisse. Le commanditaire était Luigi Fernandino Marsigli de Bologne, un homme qui était en relation étroite avec Johann Jakob Scheuchzer. Ce dernier atteste de la véracité de la représentation, affirmant que le peintre s’est rendu à plusieurs reprises sur le site pour le dessiner d’après nature.

Félix Meyer, Le glacier inférieur de Grindelwald et le Mettenberg, vers 1700, huile sur toile, 56 x 76 cm, Winterthour, musée Oskar Reinhart.
Félix Meyer, Le glacier inférieur de Grindelwald et le Mettenberg, vers 1700, huile sur toile, 56 x 76 cm, Winterthour, musée Oskar Reinhart.

Le XVIIe siècle a donc, à cause du refroidissement climatique, un rapport contrasté à la montagne. C’est malgré tout à cette époque qu’apparaissent les premières représentations des sommets alpins. Nous allons voir dans le chapitre suivant que le XVIIIe siècle connaît un véritable engouement pour les Alpes.

Ces articles pourraient vous plaire

Photographie aérienne en noir et blanc des pyramides égyptiennes et des alentours.
Histoire des Alpes

Eduard Spelterini Pionnier de la photographie aérienne

Aventurier du ciel à l’âme visionnaire, Eduard Spelterini mène son existence comme il sillonne les airs. Guidé par les vents, il suit son instinct, par-delà les Alpes et dans le monde entier. Audacieux et volontaire, il veut marquer son temps. Cet as de l’aérostat, avant-gardiste des hauteurs, n’a de cesse d’innover, mettant au défi les obstacles de lui résister. Son œuvre impérissable constitue aujourd’hui un patrimoine inestimable. Portrait d’Eduard Spelterini, aérostier de légende et pionnier de la photographie aérienne. D’Eduard Schweizer au grand Spelterini | Ses rêves de jeunesse Fils de Sigmund Schweizer et de Maria Magdalena Sütterlin, le jeune ...
Lire l'article
Photographie panoramique en noir et blanc du Cervin et des sommets qui l'entourent.
Histoire des Alpes, Portraits de Montagnes

La Haute Route Chamonix-Zermatt Histoire et itinéraires principaux

Entre les cimes et les vallées des Alpes, se trace un chemin d’exception. Authentique liaison entre le mont Blanc et le Cervin, la Haute Route Chamonix-Zermatt surgit des glaciers. Mais connaissez-vous l’histoire de cette traversée légendaire ? Savez-vous qu’il existe plusieurs itinéraires pour atteindre Zermatt ? Cette voie, souvent jalonnée de plusieurs journées de ski de montagne, éveille en nous le vent de la liberté et le goût du surpassement de soi. Je vous raconte l’histoire de la Haute Route Chamonix-Zermatt et vous dévoile ses itinéraires principaux. Histoire de la Haute Route Chamonix-Zermatt | À la conquête d’un itinéraire prestigieux ...
Lire l'article
Vue aérienne sur Zermatt en 1800
Histoire des Alpes, Lieux Alpins

Zermatt Histoire fabuleuse de la capitale des Alpes suisses

Petit village de montagne vivant au rythme d’une nature foisonnante et rigoureuse, Zermatt s’épanouit sous l’égide du Cervin et des plus beaux sommets des Alpes. Comme un joyau boisé dans un écrin de roche. Jusqu’au jour où les hommes décident de conquérir une à une les cimes alentour, menant l’alpinisme à son âge d’or au cœur du Valais. Le village se métamorphose alors pour devenir en quelques décennies la capitale des Alpes suisses. Retour sur l’histoire fabuleuse de Zermatt, qui par la singularité de son destin jouit désormais d’une renommée mondiale. Le village de Zermatt | Oasis agro-pastorale au cœur ...
Lire l'article
Eiger Grindelwald - image montagne enneigée en noir et blanc - Photo montagne dans la brume
Histoire des Alpes, Portraits de Montagnes

Histoire des Premières Ascensions de la Face Nord de l’Eiger

Dans l’Oberland bernois, au cœur des Alpes suisses, se dresse une montagne. Pyramide rocheuse sertie de glace scintillante, l’Eiger pointe vers le ciel. Porté par la grandeur du Mönch et de la Jungfrau, il règne sur la vallée de Grindelwald. Mais, connaissez-vous l’histoire de ce sommet mythique ? Savez-vous que d’un épieu royal il s’est mué en ogre redoutable pour mieux lutter contre la vanité des hommes osant fouler la roche de sa paroi nord ? Cette muraille verticale de plus de 1600 mètres de dénivelé est l’une des trois grandes faces nord des Alpes, avec celles du Cervin et ...
Lire l'article
cervin mer de nuages et neige - photo panoramique
Histoire des Alpes

Portrait de l’alpiniste Edward Whymper Conquérant du Cervin

L’audace chevillée au corps et l’âme volontaire, Edward Whymper mesure son chemin à l’aune de ses réussites. Le parcours de cet alpiniste de légende est gravé dans la roche comme le dénouement tragique de sa victoire sur le Cervin. Explorateur des hauteurs, il donne son nom aux itinéraires qu’il inaugure. Amoureux de la montagne, il n’a pourtant de cesse de vouloir la vaincre. Comme un défi lancé aux lois de la nature, comme un besoin viscéral d’entrer dans la lumière. Portrait d’un aventurier à la cime des Alpes, Edward Whymper, conquérant du Cervin et alpiniste inoubliable. Edward Whymper | Dessinateur ...
Lire l'article
Art de Vivre, Histoire des Alpes

Le ski de randonnée Histoire et sélection des plus beaux itinéraires

Le ski de randonnée fascine les alpinistes autant qu’il les transporte dans l’univers de la haute montagne. Cette pratique, symbole de liberté, offre aux skieurs l’accès à des espaces vierges, où chaque descente dans les neiges profondes laisse une trace sur cet or blanc. Je vous raconte l’histoire du ski de randonnée en vous dévoilant une sélection des plus beaux itinéraires des Alpes suisses. Le ski de randonnée | Héritage d’une pratique ancienne L’histoire commence à l’époque des Cro-Magnon, au temps où les hommes du passé dansent au rythme ancestral de la nature. Et au cœur de la région de ...
Lire l'article
Photo panoramique de la couronne impériale de Zinal. Vue panoramique sur tous les plus beaux sommets de 4000 des alpes.
Histoire des Alpes, Lieux Alpins

Zinal Histoire du célèbre village de la Couronne impériale

Il est des lieux qui nous fascinent plus que d’autres. Des lieux qui éveillent en nous le vent de l’aventure et la mélodie des rêves. Zinal en fait partie. Ce village emblématique du val d’Anniviers est né du souffle des alpages. Et sous la tutelle bienveillante des montagnes de la Couronne impériale, il s’est peu à peu mué en station incontournable des Alpes valaisannes. Comme un simple caillou devient un jour diamant, comme un bourgeon feutré devient un edelweiss. Je vous raconte l’histoire de Zinal, village de montagne à la destinée céleste. Zinal | Village mythique au pied des montagnes ...
Lire l'article
Alexandre Calame
Histoire des Alpes

Alexandre Calame

Alexandre Calame (1810-1864) est l’un des artistes suisses les plus importants du XIXe siècle. Il est étroitement lié aux Alpes, et c’est évidemment en tant que tel qu’il nous intéresse ici. Avec François Diday, c’est le principal représentant de l’école genevoise de peinture.
Lire l'article
Ferdinand Hodler
Histoire des Alpes

Ferdinand Hodler

Ferdinand Hodler (1853-1918) est sans conteste l’un des artistes suisses les plus connus et le plus important du début du XXe siècle. Artiste à la production variée et prolifique ayant peint dans différents styles, peintre touche-à-tout, la montagne n’est jamais très loin de son pinceau.
Lire l'article
Histoire des Alpes, Photographe de montagne

Vittorio Sella

Vittorio Sella (1859-1943) est l’un des principaux photographes et alpinistes de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle. C’est le neveu de Quintino Sella, l’un des membres fondateurs du Club Alpin Italien (1863). Il était autant réputé pour ses photographies que pour ses ascensions. Sella disait lui-même avoir décidé de combiner photographie et alpinisme à partir de 1880 et ne s’intéresser qu’aux hautes régions des Alpes, alors encore peu explorées et non photographiées – même si, nous l’avons vu dans d’autres articles, plusieurs pionniers avaient déjà pris des photographies dans les Alpes. Sella a profité du ...
Lire l'article