Sur les hauteurs de Chamonix, le mont Blanc s’élève à 4808 m d’altitude. Point culminant des Alpes, il est aussi le plus haut sommet de l’Europe occidentale. Bravant ainsi les lois de la nature, il défie les hommes de le conquérir. Tel un diamant brut, il fascine les explorateurs, éblouit les alpinistes et inspire le monde. Mais sait-on vraiment quelle est son histoire ? Je brosse pour vous le portrait du mont Blanc au sommet des Alpes.

Portrait du mont Blanc : Naissance dans les Alpes d’un sommet de légende
À l’heure où les plaques tectoniques s’entrechoquent, où les mers s’embrasent et les Alpes surgissent des entrailles de Thétys, le mont Blanc s’éveille. Titan de micaschistes, de gneiss et de granite, il brandit vers le ciel son dôme marbré de neige et de glace. Aux confins de la Haute-Savoie et de la Vallée d’Aoste, la montagne surplombe les communes de Chamonix-Mont-Blanc, Courmayeur et Saint-Gervais-les-Bains. Le Toit de l’Europe domine les sommets du massif du Mont-Blanc, abreuve leurs glaciers et veille sur leurs combes.
Mère nourricière, emblème des Alpes, la montagne grandit pourtant bien loin de la lumière. La légende veut qu’autrefois le massif ait été verdoyant. On y menait les bêtes sous un soleil radieux. À l’époque romaine, les troupeaux traversaient le col du géant vers des pâturages qui tutoyaient le ciel. Mais, un beau jour, l’ombre a gagné les plus hauts sommets d’Europe. Les démons de glace se sont emparés de leurs derniers alpages, exigeant alors des animaux qu’ils se retirent au fond des vallées. Au 17e siècle, le petit âge glaciaire a fait du mont Blanc un paradis perdu. Les fleuves et les rivières se sont mués en glace et le géant de roche est devenu aux yeux de tous le mont Maudit ou les Glacières. Ce sommet redoutable et gigantesque suscitait la crainte des montagnards. Seuls quelques cristalliers et chasseurs de chamois osaient dès lors s’en approcher. Et l’on rapporte que la mer de Glace menaçait à ce point Chamonix que des processions étaient organisées dans l’espoir de mettre fin à son avancée.

La montagne ne rejoint la lumière qu’au 18e siècle, quand l’imagination laisse place à la science, reléguant les ténèbres au rang de souvenirs. En 1778, ce haut sommet est pour la première fois nommé mont Blanc sur la carte de Suisse établie par William Faden. Le souverain des Alpes adoubé par l’homme brille depuis de mille feux.
Histoire du mont Blanc : Premières tentatives d’ascension au sommet des Alpes
À partir de 1760, Horace Bénédict de Saussure se met en tête d’être le premier à conquérir le mont Blanc. Car, il le sent au fond de lui, la montagne recèle sous son chapeau de glace le secret bien gardé de l’orogenèse alpine. Percer enfin le mystère de la formation géologique des Alpes : voilà qui ferait progresser la science ! Il multiplie alors les séjours à Chamonix pour observer le mont Blanc et, dès 1774, s’aventure sur ses flancs aux côtés de son guide, Jean-Laurent Jordaney.

Pour la première fois le 3 juillet 1775, quatre guides entreprennent de rejoindre le sommet du mont Blanc par les Grands Mulets. Mais, la fatigue et les aléas du temps les empêchent de mener à bien leur expédition. Les tentatives d’ascension se succèdent ensuite. En 1783, Marie Couttet, Joseph Carrier et Jean-Baptiste Lombard empruntent le même itinéraire, mais le soleil brûlant finit par avoir raison d’eux. Le mont Blanc résiste aux assauts répétés des hommes.
Le 29 juin 1786, cinq guides décident de se retrouver sur le col du Dôme pour rejoindre ensemble le Dôme du Goûter : Jean-Michel Cachat, François Paccard, Marie Couttet et Jacques Balmat passent par la Montagne de la Côte, tandis que Pierre Balmat et Jean-Marie Couttet passent par l’Aiguille du Goûter. Mais l’arête des Bosses leur fait très vite obstacle. L’orage menace et il se fait tard. Les alpinistes n’ont d’autre choix que de redescendre, laissant seul là-haut Jacques Balmat, bien décidé à explorer les rochers en quête de cristaux. Surpris par la nuit, il est contraint de bivouaquer parmi les glaces. Et lorsqu’il rejoint enfin la vallée, le lendemain, la surprise est immense pour tous les villageois : l’homme peut donc survivre à l’obscurité en haute montagne ! Désormais, rien n’est impossible.
Première ascension du mont Blanc : Une prouesse en haute montagne
Le 7 août 1786, Jacques Balmat et Michel Paccard quittent discrètement la vallée de Chamonix, bien déterminés à vaincre la montagne. Horace Bénédict de Saussure a promis d’offrir une récompense à ceux qui fouleraient les premiers le mont Blanc. Ils relèvent le défi. Des Bossons, ils rejoignent la Montagne de la Côte pour y bivouaquer. Ils passent la nuit à la belle étoile, à l’endroit que l’on nomme aujourd’hui Gîte de Balmat.
Le 8 août 1786, les deux explorateurs ont rendez-vous avec l’histoire. Ils partent à 4 h 15 pour suivre l’itinéraire des Grands Mulets. Durant des heures, ils grimpent inlassablement. Les conditions sont difficiles, le mont Blanc leur tient tête. Leurs pas s’enfoncent dans la neige, la fatigue les gagne, mais ils persévèrent. Vers 15 h, ils atteignent le Grand Plateau, puis ils franchissent vers l’est des parois de plus en plus raides au-dessus des Rochers Rouges. De la vallée, leur avancée devient visible et les plus curieux peuvent alors observer à la lunette leur audace. Traversant les Petits Rouges puis les Petits Mulets, ils approchent du but. Et à 18 h 23, Jacques Balmat et Michel Paccard ont réussi l’exploit ! Ils foulent le sommet de ce mont sans mesure.

Les alpinistes viennent d’effectuer la première ascension du mont Blanc, réalisant ainsi leur rêve le plus fou. Fiers et heureux de leur prouesse, ils remercient le ciel de se trouver là, au cœur de ce monde de roche et de glace. Autour d’eux, tout leur paraît grandiose. Les Alpes en contrebas saluent leur coup d’éclat. Et au fil des vallées, la nouvelle se répand : l’homme, en ce jour, a conquis le mont Blanc ! L’alpinisme est né de leur ténacité. Pendant quelques minutes, Jacques Balmat et Michel Paccard profitent du panorama exceptionnel qui s’étend autour d’eux. Puis, il leur faut déjà redescendre. Ils passent la nuit à flanc de montagne et, le lendemain, rejoignent la vallée. Deux enfants du pays devenus héros.
Un an plus tard, le 3 août 1787, Horace Bénédict de Saussure grimpe à son tour au sommet du mont Blanc, accompagné de 18 guides et d’un porteur. C’est la première fois que l’altitude du mont Blanc est mesurée depuis son sommet. La montagne s’élève selon ses calculs à 4775 m d’altitude. L’ascension du physicien suisse est considérée comme un acte fondateur du métier de guide de montagne. L’événement connaît un retentissement mondial. La haute montagne semble dès lors accessible à tous. Les visiteurs ne cessent depuis d’affluer dans les Alpes.
Les statues de Jacques Balmat et Michel Paccard trônent aujourd’hui au cœur de Chamonix comme l’emblème de la bravoure et de la volonté. Mais, cette consécration n’a pas coulé de source. Le récit des alpinistes a donné lieu à des controverses. Le rôle de Michel Paccard dans la conquête du mont Blanc a immédiatement été mis en doute par Marc-Théodore Bourrit. Des années plus tard, Alexandre Dumas se fait l’écho de ce désaveu dans ses Impressions de voyage en Suisse. La frénésie qui entoure l’expédition menée par H.B. de Saussure en 1787 contribue elle aussi à éclipser la victoire de ses prédécesseurs et la figure de Michel Paccard. La légende Balmat s’inscrit dans les mémoires et, en 1887, une statue est élevée à Chamonix réunissant Jacques Balmat et H.B. de Saussure. Mais, il faut attendre 1986 pour que soit à son tour érigée dans la commune une statue à la gloire de Michel Paccard. Deux siècles passés dans l’ombre de ses pairs pour l’éclat d’une première au sommet des Alpes.
Naissance des compagnies de guides au sommet du mont Blanc
En 1820, Joseph Anderson et Joseph Hamel s’engagent sur le mont Blanc aux côtés de leurs guides. En montagne, les vents sont si violents que les alpinistes doivent patienter aux Grands Mulets pendant toute une journée. Le lendemain, les deux hommes exigent de leurs guides qu’ils poursuivent la course malgré le mauvais temps. Joseph Hamel insiste, il ne lâche rien. Alors, à contrecœur, la cordée s’exécute et progresse à l’aveugle. La neige leur monte jusqu’aux genoux. Mais, tandis qu’ils gravissent une pente raide, les alpinistes coupent une plaque à vent, déclenchant sur-le-champ une terrible avalanche. En quelques secondes, leur destin bascule. Auguste Tairraz, Pierre Balmat et Pierre Carrier, les trois guides de tête, emportés par la neige, périssent en chutant dans une crevasse. Les survivants du drame les cherchent sans succès et n’ont d’autre choix que de laisser le corps de leurs compagnons aux mains de la montagne. Nous sommes le 20 août et leur cœur est en berne.
La disparition des trois alpinistes cause une peine immense à tous les montagnards. Les guides, consternés, décident qu’il est temps pour eux de s’unir. Le 9 mai 1823, pour répondre aux enjeux de leur profession, la compagnie des guides de Chamonix voit officiellement le jour. En 1850, la société des guides de Courmayeur est à son tour créée. Les autres compagnies suivront. Réglementé et structuré, le métier de guide se tourne vers l’avenir.
Portrait du mont Blanc au sommet des Alpes : d’innombrables records
Le mont Blanc accueille désormais les hommes et accède à leurs rêves de records. Les alpinistes inaugurent de nouvelles voies, réalisent des courses inédites. Le 15 juillet 1865, George Spencer Mathews, Adolphus Warburton Moor, Horace et Franck Walker, Melchior et Jakob Anderegg réalisent ensemble la première ascension de la montagne par l’éperon de la Brenva. Le 31 janvier 1876, Isabella Straton, accompagnée de Jean Charlet-Straton, Sylvain Couttet et Michel Balmat, effectue la première ascension hivernale du mont Blanc. Et l’on pourrait citer bien d’autres premières, à pied ou à skis, en parapente ou en avion. Une fois que toutes les parois et les crêtes du roi des Alpes ont été explorées, vient l’heure des performances. Courses, traversées, records de vitesse. Des tours de force toujours plus incroyables, aux frontières du possible. Mais la nature n’a-t-elle pas de limites ? Alors que le mont Blanc reçoit toujours davantage de visiteurs, qu’en est-il de son histoire et de son avenir ? De ses richesses millénaires, de ses beautés autrefois immuables ? Alors que la montagne veille sur les hommes depuis tant d’années, sauront-ils à leur tour préserver sa mémoire ?

Je pourrai vous raconter encore bien des choses sur le mont Blanc tant sa place est essentielle au sommet des Alpes. Souverain primordial, montagne exceptionnelle. Ce portrait dessine les contours d’un géant qui clame dans le ciel de Chamonix son amour du courage, de l’exigence et de l’aventure.