Juin 2025. La traversée royale du Mont-Blanc nous a guidés ces derniers jours des Dômes de Miage à l’Aiguille de Bionnassay. Je vous ai raconté cette étape dans un premier récit. Le moment est maintenant venu de rejoindre le mont Blanc par le Dôme du Goûter. Ce voyage au sommet des Alpes nous réserve sans doute encore bien des surprises. Alors, élançons-nous et poursuivons ensuite notre ascension sur les crêtes sublimes du Mont Maudit, du Mont Blanc du Tacul et de l’Aiguille du Midi.
Traversée royale du Mont-Blanc : Du col de Bionnassay au Dôme du Goûter
J’ai longtemps pensé à cette traversée de l’Aiguille de Bionnassay au Dôme du Goûter. Par crainte que l’arête ne soit en glace ou que les vents s’en mêlent. Mais, ce jour-là, elle est en neige et nous osons sans peur nous y engager. Les crêtes sont sculptées de corniches discrètes mais redoutables. Alors, pour ne pas risquer de les rencontrer, nous avançons en contrebas, au risque d’affronter une pente plus raide. Sur les flancs escarpés du massif du Mont-Blanc, le vent souffle, mais la neige est superbe.
Du col de Bionnassay, nous remontons vers le Piton des Italiens. Nous croisons alors le chemin des cordées qui viennent du refuge Gonella pour gravir le mont Blanc. Au niveau du Piton, je m’arrête pour photographier l’arête de Bionnassay et la voie qui mène des Bosses au mont Blanc, parcourue par de nombreux alpinistes.

À l’heure où l’on s’élance vers le Dôme du Goûter, un vent glacial nous frappe et nous enveloppe soudain. Je ne sens plus mes mains. Les bourrasques menacent de nous faire perdre l’équilibre. Nous avons du mal à nous tenir debout. Mais il nous faut tenir le cap. Nous n’avons pas le choix. Le froid s’insinue jusque sous nos vêtements pour nous faire céder, mais nous persévérons. Et redoublant de zèle, nous décidons de mener cette course encore plus loin. Alors que la voie traditionnelle de la traversée royale du Mont-Blanc passe en contrebas du Dôme du Goûter, nous nous rendons à son sommet. Quitte à être si près de lui, autant le rejoindre. Nous voilà désormais à 4304 m d’altitude, si proche du mont Blanc, cette montagne reine que tant de gens convoitent de gravir un jour.
Traversée royale du Mont-Blanc : Du Dôme du Goûter au Toit de l’Europe
Du Dôme du Goûter, nous empruntons l’arête qui mène aux Bosses. Nous retrouvons alors les alpinistes qui réalisent l’ascension du mont Blanc par sa voie normale. À si haute altitude, le mal des montagnes commence à m’envahir. Mais, je lui résiste du mieux possible. Je reprends de l’aspirine et je reste concentré sur mon objectif. Au-dessus de nous, le refuge Vallot domine le Grand Plateau, étendue glaciaire aux reflets opalins. Et je regarde au loin l’arête du Brouillard, cette crête sauvage que nous envisageons de gravir bientôt.
Arrivé au sommet des Bosses, à 4547 m d’altitude, j’admire la grandeur du mont Blanc. Une montagne immense, mais qui a tant changé au cours des dernières années. Elle me semble meurtrie. Ses crevasses ouvertes, ses parois affaissées, la roche qui émerge de son manteau neigeux. Le roi des Alpes peine à retrouver son souffle. Il s’épuise à lutter contre le réchauffement des temps.

Il ne nous reste plus que quelques mètres avant d’atteindre ce sommet mythique. Alors, j’y vais, j’y mets toute mon énergie. Chaque pas est en soi une gageure, un défi lancé à mon propre corps. Avancer, respirer, ne pas perdre pied. Johann me conseille de prendre une grande inspiration tous les quatre pas, mais je lui réponds que je respire déjà profondément à chacun de mes pas ! Je suis rendu au bout de mes capacités. Il ne me reste qu’à avancer, un pas après l’autre, en veillant à garder un rythme régulier. Par deux fois, je crois avoir atteint le sommet, mais il ne s’agissait que de fausses joies. Le mont Blanc se mérite, ça ne fait aucun doute.
Et quand je vois enfin le visage de Johann s’éclairer d’un sourire, je sais que, cette fois, nous avons réussi. Il est 9 h 30 et nous avons atteint le sommet du mont Blanc ! À l’apogée de cette traversée royale, nous dominons les Alpes, 7 heures après notre départ. Comment réaliser que nous nous trouvons à 4808 m d’altitude ! C’est impensable, étourdissant. L’épreuve a été rude et j’ai souffert de m’élever ainsi toujours plus haut. Mais, l’aventure est inoubliable. Et je ne remercierai jamais assez Johann de m’avoir soutenu et accompagné tout au long de cette course à travers les Alpes. Aux portes du ciel, je photographie les montagnes baignées d’un soleil étincelant. Tous ces massifs que j’ai déjà parcourus, explorés, immortalisés. Et ces sommets qu’il me reste à gravir. La nature nous offre le plus beau des spectacles. Puis, il nous faut déjà quitter le mont Blanc pour continuer notre traversée.

Traversée royale du massif du Mont-Blanc : Ascension du Mont Maudit
Nous descendons vers le col de la Brenva. L’endroit est magnifique et je me réjouis de perdre de l’altitude. Je reprends mon souffle, mes poumons s’emplissent à nouveau d’oxygène. Dans le ciel des Alpes, mon esprit s’évade. Des heures de marche nourrissent les pensées. Puis, nous arrivons au pied du Mont Maudit. Ni moi ni Johann n’avons encore réalisé son ascension. La majorité des alpinistes qui effectuent la traversée royale du Mont-Blanc contournent son sommet pour rejoindre le col Maudit. Mais, nous avons choisi de mener notre course le plus loin possible. Gravir le Mont Maudit unis tous deux par le défi de vaincre l’ensemble des 4000 des Alpes.
Je retrouve alors la montagne que j’aime. Celle qui exige le meilleur de moi-même. Celle qui m’invite à me surpasser. Accablé de fatigue et à bout de souffle, je poursuis l’ascension coûte que coûte. Je mange du sucre pour prendre des forces, j’avale encore une fois de l’aspirine, et je grimpe sans trop y réfléchir. Ces 160 m de dénivelé en paraissent bien 1000. À chaque pas, je souffre, mais je continue. Et quand nous atteignons le sommet du Mont Maudit, à 4465 m d’altitude, je m’effondre de joie et d’épuisement. Je viens de réaliser l’ascension de mon 64e sommet des Alpes de plus de 4000 m. Et jamais de ma vie je ne pourrai oublier cette montée harassante au Mont Maudit. Bien sûr, la voie la plus belle pour gravir la montagne passe par l’arête Küffner, mais je reviendrai. J’en fais la promesse.
Derrière nous, le mont Blanc salue notre prouesse avec majesté. Et plus je le contemple, plus je suis fasciné par la démesure de son royaume. Que sommes-nous donc, hommes et femmes insignifiants, face à une telle immensité ? Nos rêves, nos combats, que sont-ils vraiment face à ce monde vertigineux ? Mais il est déjà tard et nous devons poursuivre notre traversée.
Une voie royale au sommet des Alpes : Du Mont Blanc du Tacul à l’Aiguille du Midi
Nous descendons le Mont Maudit par le même itinéraire avant de nous diriger vers le Mont Blanc du Tacul. L’arête est recouverte d’une neige épaisse. Le massif nous ouvre une voie royale et nous profitons de ce moment privilégié au fil des Alpes. Après une courte pause, nous remontons la pente jusqu’au sommet du Mont Blanc du Tacul, à 4248 m d’altitude. Et, tout en regardant le ciel, je remercie la vie de m’offrir cet instant. Je viens de gravir mon 65e 4000 des Alpes. Qui aurait pu le croire il y a encore 10 ans ! Les exploits se succèdent et je n’en reviens pas.
Nous abordons enfin la dernière étape de cette fabuleuse traversée royale. Johann me met en garde. La voie qui relie le Mont Blanc du Tacul au col du Midi est semée d’embûches. Chutes de séracs, crevasses béantes, le danger est partout. Nous descendons alors la pente d’une traite en veillant à ne pas contrarier la montagne. Au col du Midi, nous ne sommes plus qu’à 3532 m d’altitude et je me sens bien mieux. Sans le mal des hauteurs, je me sens plus vif. Et de l’énergie, j’en ai besoin, car nous devons encore franchir 300 m de dénivelé pour atteindre l’Aiguille du Midi.

Nous bravons alors la neige de la Vallée Blanche. Elle est si épaisse que l’on s’y enfonce jusqu’aux mollets. La progression est lente dans ces conditions, mais nous persévérons. Nous savons qu’une fois arrivés à l’Aiguille, les difficultés seront derrière nous. À chaque enjambée, nous brassons la neige au prix d’efforts considérables. Jusqu’à cet instant où l’on atteint enfin le téléphérique de l’Aiguille du Midi. L’expédition s’achève et nous sommes heureux d’avoir partagé ce voyage incroyable à travers le massif du Mont-Blanc.
Les cabines sont bondées, notre retour à la civilisation est brutal. Mais Johann et moi n’avons qu’une envie, retrouver la vallée et notre famille. Nous sommes repus de neige, de rochers, de soleil et de vent. Nous avons assouvi ce désir qui nous guide en haute montagne et nous n’aspirons plus qu’à nous reposer. De cette traversée royale du Mont-Blanc, nous garderons un souvenir impérissable.