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Histoire des Alpes

Alexandre Calame

Ecrit par Thomas Crauwels
Alexandre Calame
Alexandre Calame (1810-1864) est l’un des artistes suisses les plus importants du XIXe siècle. Il est étroitement lié aux Alpes, et c’est évidemment en tant que tel qu’il nous intéresse ici. Avec François Diday, c’est le principal représentant de l’école genevoise de peinture.

Élève de Diday et premières excursions dans les Alpes

Calame a commencé par colorier des estampes pour les touristes et à travailler comme commis pour un agent de change. C’est lui qui lui offrit des cours chez François Diday (1802-1877), alors le peintre de paysage le plus important sur la scène genevoise.

Diday s’était tourné vers la montagne après un voyage en Italie : il avait été plus impressionné par les Alpes que les paysages de la Péninsule et avait alors décidé de diriger tous ses efforts vers la montagne. Avec ses élèves, il se lance à la recherche de nouveaux sujets et de nouveaux paysages, allant dans des contrées inexplorées. Élève de Diday, Calame décide rapidement de devenir peintre de paysage et se met ainsi à parcourir chaque été les Alpes. L’un de ses voyages importants est celui entrepris dans l’Oberland bernois en 1838. Deux ans plus tard, il produit sa première version du Wetterhorn depuis Rosenlaui, une vue qui était déjà devenue un classique à l’époque.

Peintre des sommets

Calame a rapidement gagné sa réputation de peintre des Alpes, grâce à Vue prise à la Handeck, près de la chute de l’Aar, peint vers 1835. La Handeck était déjà un lieu réputé à l’époque : se situant sur le chemin entre Meyringen et le Grimsel, de nombreux voyageurs avaient pu le voir lors de leur traversée des Alpes. C’est donc un choix stratégique de la part de Calame que de le représenter. Calame fait preuve d’un souci d’observation et de réalisme évident, qui se manifeste dans toutes les parties du tableau.

C’est avec ce tableau que Calame se gagne sa réputation de peintre des sommets, qui a très rapidement été acheté par le canton de Berne. C’est en pensant lui que Rodolphe Töpffer (1799-1846), dessinateur et critique d’art, écrit dans ses Voyages en zig-zag, en parlant de la Handeck:

« ce grand paysage alpestre auquel le beau talent de M. Calame vint de donner, il y a peu d’années, une valeur et une célébrité artistique. Encore quelques efforts, quelques chefs-d’œuvre surtout et la cause de ce paysage-là, tout récemment encore mise en question à Paris, sera définitivement gagnée. »

Rodolphe Töpffer

Orage à la Handeck

Environ quatre ans plus tard, Calame peint un nouveau tableau de la Handeck, mais dans une version beaucoup plus tourmentée : Orage à la Handeck, l’un de ses premiers succès majeurs. L’orage est naturellement un ajout apporté en atelier : Calame n’a pas vu, et encore moins peint, l’orage sur le site. Mais de la sorte il relève l’un des plus grands défis de l’histoire de la peinture, l’orage étant considéré comme particulièrement difficile à représenter. Calame s’inscrit ainsi également dans l’esthétique du sublime.

Orage à la Handeck est en outre un tableau aux dimensions imposantes, réservées en principe à la peinture d’histoire, le genre le plus important dans la classification des genres picturaux dans la théorie classique. Comme nombre de ses contemporains, Calame élève la peinture de paysage au rang de la peinture d’histoire. Mais cela a également pour conséquence de faire plonger le spectateur dans le tableau et de le faire participer à cette tempête. Contrairement aux (premières) apparences, une présence animée se cache dans le paysage : un ours – symbole du canton de Berne – sur la droite de la composition. Le tableau a été considéré à l’époque comme la première peinture nationale, dans un contexte où l’expression d’une identité nationale animait les débats artistiques.

Alexandre Calame, Orage à la Handeck, 1839, huile sur toile, 190,2 x 260 cm, Genève, musée d’art et d’histoire.

En représentant un site spectaculaire, tourmenté par les forces de la nature, Calame anticipe les recommandations de Rodolphe Töpffer, qui prône un art national fondé sur le paysage de haute montagne. Toute présence humaine est absente de cette nature inhospitalière, où seul un ours fait figure d’être animé. L’œuvre met en relief une observation précise des effets atmosphériques, et le traitement particulièrement sinueux des conifères et les aspérités des rochers marquées par le torrent sont autant de détails dont le rendu minutieux révèle l’étude des anciens maîtres hollandais – Calame avait notamment beaucoup étudié Hobbema dans ses années de formation.

Peindre la haute montagne

L’un des plus grands défis de la peinture de montagne est de représenter la haute montagne. Calame a laissé quelques tableaux de ce genre, le plus connu étant Le Mont-Rose, peint en 1843. Si la chaîne du Mont-Rose se reconnaît au dernier plan, il faut bien reconnaître que Calame ne fait pas ici preuve d’un réalisme et d’une observation attentive comme il en fait normalement preuve. L’éclairage rasant du lever du soleil, dont les rayons ne dardent que les sommets enneigés, mettent ces derniers, collés au milieu de la composition. Le premier plan, hormis une petite portion sur la droite, est plongé dans l’obscurité. Cela a pour conséquence de mettre en évidence les sommets au loin. L’éclairage rasant du lever du soleil et l’absence de nuage donnent une atmosphère très calme, presque éternelle, à ce tableau très minéral vu que la végétation y est absente.

Alexandre Calame, Le Mont Rose, 1843, huile sur toile, 110 x 151 cm, Genève, Musée d’art et d’histoire.

Cette toile diffère de la majorité de la production de Calame, qui aimait à représenter, à défaut de tempêtes, du moins des ciels chargés de nuages.

Des dessins

Calame ramenait de nombreux dessins exécutés minutieusement sur le motif de ces excursions en montagne. C’est sur base de ces dessins qu’il peignait les toiles finales. Les dessins les plus audacieux sont ceux que Calame a ramené du Gothard en 1849 et de sa dernière excursion au Pilate en 1861 : ils allient mine de plomb, crayon gras et fusain, le tout étant parfois rehaussé à la gouache. Ces dessins sont audacieux notamment par les diagonales dramatiques et les brouillards enveloppants, donnant des compositions parfois aux limites de l’abstraction. Mais Calame ne reprend pas cette audace dans les toiles, qui restent dans la lignée de sa production. Il refusait en effet de peindre des tableaux qui seraient plus un « désert de cimes plus voisines des nuages que de la terre habitable ».

Alexandre Calame, Pilate, 10 juillet 1861, fusain et gouache blanche sur papier, 15,9 x 23,7 cm, Genève, Musée d’histoire et d’histoire.

Importants succès et modèle

Calame a joui d’un succès important de son vivant, ses tableaux attirant de bonnes critiques lors des expositions ou Salons, voire même des prix. Ainsi Orage à la Handeck obtient une médaille d’or au Salon à Paris en 1839. Le Lac des Quatre-Cantons exposé en 1853 à l’Exposition universelle de Paris amène à Calame un grand succès. La toile est même achetée 15’000 francs-or par Napoléon III.

La renommée de Calame a même traversé les frontières, le peintre étant fameux en Amérique et même un modèle de nombreux artistes américains, principalement ceux venus dans les Alpes, à l’exemple d’Albert Bierstadt ou encore de Benjamin Champney. Le premier a même rencontré Calame au bord du lac des Quatre-Cantons en 1856.

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