Entre les cimes et les vallées des Alpes, se trace un chemin d’exception. Authentique liaison entre le mont Blanc et le Cervin, la Haute Route Chamonix-Zermatt surgit des glaciers. Mais connaissez-vous l’histoire de cette traversée légendaire ? Savez-vous qu’il existe plusieurs itinéraires pour atteindre Zermatt ? Cette voie, souvent jalonnée de plusieurs journées de ski de montagne, éveille en nous le vent de la liberté et le goût du surpassement de soi. Je vous raconte l’histoire de la Haute Route Chamonix-Zermatt et vous dévoile ses itinéraires principaux.
Histoire de la Haute Route Chamonix-Zermatt | À la conquête d’un itinéraire prestigieux
Michel Payot, enfant des cimes de Chamonix et médecin émérite du XXe siècle, voit sa vie prendre un nouveau cours lorsqu’il fait pour la première fois usage des skis. Alors que ces lattes de bois s’érigent en véritable moyen de locomotion dans les contrées scandinaves, Michel Payot, lui, leur insuffle une destinée unique. Celle d’un instrument intermédiaire voué à sauver des vies. Tel un guerrier à cheval sur un champ de bataille, Michel Payot affronte les montagnes, bravant les neiges, le froid et les caprices météorologiques. Plus rien ne l’arrête pour se déplacer jusqu’aux lieux les plus isolés de la vallée de Chamonix afin de prodiguer des soins à ses patients.
C’est ainsi que le médecin devient le symbole de l’émergence des skis dans les Alpes.
Son attention reste sans relâche fixée sur ses planches paraboliques, qui sont devenues de véritables alliées de l’alpiniste. Un projet ambitieux germe alors dans l’esprit de Michel Payot : celui de tracer un chemin jusqu’à Zermatt, serpentant à travers les sommets majestueux des Alpes.
Ainsi décidé, le Chamoniard concrétise son défi et s’entoure de ses compagnons de cordée : Joseph Couttet, Joseph Ravanel (dit Ravanel le Rouge en raison de sa chevelure flamboyante) et Alfred Simond.
Alors équipés du matériel d’antan, les alpinistes s’apprêtent à entamer leur périple. Des peaux de phoque soigneusement clouées aux skis de 2 mètres de long, un appareil photographique de 10 kilogrammes et une paire de raquettes pour affronter les terrains les plus hostiles. Avec leur bâton d’1,80 mètre, fidèle gardien des alpinistes et précurseur du piolet contemporain, l’équipe s’éloigne du village de Chamonix, prête à défier les cieux alpins.
Samedi 17 janvier 1903, premier jour de la traversée. La cordée émerge de son sommeil et gravit le col du Chardonnet affrontant des températures avoisinant les – 20 degrés. Les quatre alpinistes, résolus et déterminés, poursuivent leur chemin : glacier de Saleinaz, fenêtre de Saleinaz, Orsières, avant de passer la nuit à la cabane d’Orny. Là, loin de la foule, la montagne se dévoile dans toute sa splendeur. Une création unique que la nature offre à ces pèlerins solitaires.
Mais point de place pour la rêverie, car l’homme est rappelé brusquement à la réalité. Celle de l’ouverture d’une route que personne d’autre n’a encore osé tenter. Celle d’un terrain où chaque pas s’enfonce dans une neige profonde. Celle d’une montagne capable d’ensevelir un corps sous une avalanche, ou d’engloutir l’alpiniste dans les abîmes d’une nature indomptable.
Les journées s’enchaînent, chaque lever de soleil rapprochant davantage les camarades de leur objectif ultime : Zermatt. Ils s’encordent puis se désencordent. Ils chaussent, puis déchaussent leurs skis. Tantôt étreints par le brouillard, tantôt évoluant sous des rayons vifs du soleil. Le manque de visibilité les contraint, au troisième jour, à passer une nuit supplémentaire à la cabane de Chanrion.
Mercredi 21 janvier 1903, dernier jour de la traversée Chamonix-Zermatt. L’équipe, épuisée et affamée, laisse Ravanel le Rouge, avec son infaillible sens de l’orientation, prendre les devants sur cette dernière étape. La nuit tombe. L’équipe traverse péniblement la forêt, puis Zermatt se dessine devant leurs yeux. Victoire ! Le curé de la paroisse les attend dans une petite auberge, disposé à prendre soin de cette vaillante équipe. C’est ainsi que ces pionniers de l’alpinisme ont tracé l’une des routes de ski de montagne les plus légendaires du monde.
Itinéraire classique de la Haute Route Chamonix-Zermatt | Une odyssée au cœur des Alpes
Comme des racines qui se ramifient pour chercher la terre nourricière, la Haute Route déploie ses multiples itinéraires pour alimenter les désirs des alpinistes. De la classique aux variantes plus exigeantes, chaque skieur choisit son propre chemin le conduisant à l’ultime destination : Zermatt.
La classique demeure sans nul doute la voie la plus prisée des aventuriers montagnards. Elle s’étend sur 6490 mètres de dénivelé positif, parcourus en moyenne sur 5 journées. La présence d’un guide de haute montagne revêt ici une importance cruciale.
Jour 1 : Col des Grands Montets – Cabane du Trient. Un dénivelé positif de 1150 mètres. Le périple débute au Col des Grands Montets. Là-haut, l’Aiguille Verte se dresse, majestueuse, parée de sa calotte neigeuse. Derrière elle, le mont Blanc, souverain incontesté des Alpes françaises, nous contemple comme des poussières d’étoiles au beau milieu de l’atmosphère alpine. Cependant, nos regards se dirigent dans la direction opposée : vers le col du Chardonnet. Une fois le col franchi, une dernière ascension jusqu’à la fenêtre de Saleina, puis, la cabane du Trient apparaît au loin.
Jour 2 : Cabane du Trient – Cabane Valsorey. Un dénivelé positif de 2220 mètres. Depuis la Cabane du Trient, l’itinéraire nous conduit d’abord vers Champex. Témoin d’une grande hospitalité, ce hameau s’est forgé une âme chaleureuse depuis plus d’un siècle pour quiconque lui rend visite. Tel un « petit Canada suisse », les forêts déploient leurs bras dans le Valais. Tandis que le lac, revêtu de glace en hiver, semble capturer l’esprit des contrées nordiques. Une navette nous attend dans ce village, prête à nous transporter à Bourg Saint-Pierre. De là, un dernier effort s’impose avant que la Cabane de Valsorey n’émerge sur son îlot rocheux.
Jour 3 : Cabane Valsorey – Cabane Chanrion. Un dénivelé positif de 950 mètres. Alors que nous quittons la cabane Valsorey, nous remontons le couloir menant au plateau. Vers 3300 mètres d’altitude, la pente devient plus raide, avec des passages à 40-45 degrés. Du plateau, la vue sur le mont Vélan prend une allure féérique. Comment ne pas être touché par la quiétude qui règne sur ces cimes ? Le chemin nous guide ensuite jusqu’au col du Sonadon. Puis, la dernière étape de la journée se dessine. Nous descendons jusqu’à la cabane Chanrion par le glacier du Mont Durand. Depuis le refuge, le massif des Combins s’élève en majesté. Le lac de Mauvoisin sublime ce décor montagneux. Un véritable voyage hors du temps que le royaume céleste nous offre en spectacle.
Jour 4 : Cabane de Chanrion – Cabane des Vignettes. Un dénivelé positif de 1456 mètres. La Haute Route nous mène sur le glacier de Breney, au cœur du Val de Bagnes. Et dans ce temple blanc, la puissante fragilité de la montagne se réveille. Les séracs, ces immenses blocs de glace qui se décrochent en frappant de pleine force le sol de la montagne, jaillissent de la terre. Ils explosent et brisent le silence des cimes. Ces rugissements sont de plus en plus fréquents en raison du réchauffement climatique. S’aventurer aujourd’hui sur un glacier est bien plus dangereux qu’au temps de Michel Payot. Une partie du royaume d’en haut s’écroule. C’est pourquoi, en tant que photographe des Alpes, je capture cette glace millénaire qui disparaît progressivement. Dans quelques années, mes créations artistiques deviendront l’archive d’une montagne immaculée de blanc que les générations futures garderont en héritage. Mais à présent, quittons ce désert de cratères pour atteindre le Pigne d’Arolla. Puis, un dernier col nécessite d’être franchi avant de séjourner à la cabane des Vignettes.
Jour 5 : Cabane des Vignettes – Zermatt. Un dénivelé positif de 1500 mètres. Nous franchissons quatre cols à la suite : Charmotane, Evèque, Mont Brulé et Valpelline. Puis, la descente jusqu’à Zermatt nous attend. Enfin, le Cervin s’élève en face de nous, avec sa silhouette pyramidale, éternelle et somptueuse. Le Matterhorn se dresse seul, au-dessus des vallées, en tant que roi des Alpes suisses. Et dans ce royaume céleste, il règne avec élégance, proclamant son infinie puissance.
La traversée Chamonix-Zermatt touche à sa fin. Mais les souvenirs que la Haute Route inscrit dans la mémoire de chaque alpiniste qui l’a parcourue résonneront à tout jamais.
Variantes de la traversée Chamonix-Zermatt | Verbier et itinéraires italiens
La Haute Route Chamonix-Zermatt enchante par la diversité de ses variantes. Je vous présente celle passant par Verbier. L’itinéraire évite le passage du Plateau du couloir, une étape exigeante de la traversée. Le panorama depuis Verbier est splendide, offrant une vue à 360 degrés sur les plus beaux 4000 des Alpes. Si cette variante vous tente, empruntez le même chemin que l’itinéraire classique jusqu’à Champex. À partir de là, les routes se séparent. Le tracé mène jusqu’à la cabane de Mont Fort, puis la cabane des Dix, dans le Val d’Hérémence. De là, le mont Banc de Cheilon s’élève tel un géant himalayen. Ses faces vertigineuses et ses glaciers suspendus me fascinent. C’est devant ce refuge que j’ai ressenti l’appel à devenir photographe de haute montagne. À mettre mon art au service des Alpes. À transmettre l’héritage du monde d’en haut aux générations futures.
Des variantes se situent également sur le versant italien, révélant la haute montagne dans toute son authenticité. Les étapes sont plus longues, plus techniques et emprunter ces itinéraires requiert une solide expérience en alpinisme. Voici une des routes traversant les Alpes valaisannes et pennines. Elle commence au sommet de l’Aiguille du Midi, et demande un engagement de 8 journées avec un total de 11500 mètres de dénivelé positif. Si l’envie vous vient de découvrir ce tracé, certains topos, comme celui du Ski Tour, décrivent avec précision l’itinéraire. Ici, la réalité de la haute montagne se dévoile, un monde où repousser ses limites devient la norme. Où la nature dicte ses propres lois. Un monde rude où l’homme n’est qu’un atome aspirant à gravir des géants de roche et de glace.
Ed Viesturs, alpiniste américain, disait : « L’altitude, c’est la liberté. » La Haute Route Chamonix-Zermatt, comme un fil d’or blanc nouant les deux capitales des Alpes, compose un hymne à la liberté. Éloignée des méandres de la vie quotidienne, elle transmet la saveur de la simplicité et l’arôme de la légèreté du cœur.