La traversée royale du Mont-Blanc par Bionnassay. Une ascension céleste qui sonne comme un rêve. Gravir tour à tour les Dômes de Miage, l’Aiguille de Bionnassay, le Dôme du Goûter pour arriver enfin sur le Toit de l’Europe. Au sommet du Mont-Blanc, contempler les Alpes. Puis, poursuivre la voie vers le Mont Maudit, le Mont Blanc du Tacul et atteindre enfin l’Aiguille du Midi. Je songe à ce voyage en haute montagne depuis plus de dix ans. Et l’heure est venue de le réaliser.
Traversée royale du Mont-Blanc : Des Contamines-Montjoie au refuge des Conscrits
Juin 2025. Je retrouve mon guide, Johann Filliez, à Chamonix-Mont-Blanc. Ensemble, nous partons en voiture vers Saint-Gervais-les-Bains afin de rejoindre Les Contamines-Montjoie. C’est là que commence notre aventure. Au fond du val Montjoie, sous le regard de l’immense Aiguille de Bionnassay. Face à nous, le massif du Mont-Blanc s’étend à l’infini.
Des Contamines-Montjoie, nous grimpons en direction du refuge des Conscrits. Autour de nous, la forêt s’étire sous un ciel radieux. Le rythme de nos pas sur le sentier rocheux, le bruissement des arbres sous un vent léger. Le chant des oiseaux qui cesse soudain à notre passage, comme pour avertir le Mont-Blanc de notre arrivée. Que la montagne est belle quand le printemps renaît !

Nous sommes tout au charme de cette randonnée quand, soudain, les Alpes nous mettent face à une autre réalité. Derrière le refuge de Tré-la-Tête, la glace n’est plus que l’ombre d’elle-même. Il ne reste presque rien du glacier de Tré-la-Tête. Qu’un peu de glace grise bien loin de l’éclat des neiges éternelles. Plus l’on avance vers le refuge des Conscrits et plus la glace est abondante. Mais, pour combien de temps ?
Après 5 heures de marche, nous arrivons à la cabane dans l’après-midi. Je m’étire et je m’hydrate pour être en forme le lendemain. Cette année, je m’acclimate à la montagne d’une manière différente. Pendant l’hiver, je me suis durement entraîné à grimper dans les Alpes, le dos chargé d’un sac de plus de 10 kg. Car j’envisage cet été d’effectuer de longues courses qui m’obligeront à bivouaquer en altitude. Alors, je suis d’attaque pour accomplir cette traversée royale du massif du Mont-Blanc par l’Aiguille de Bionnassay. À l’heure du dîner, nous embrassons du regard les sommets alentour blanchis par la neige fraîchement tombée. Mais, Johann m’assure que le lendemain, le temps sera propice à notre expédition.

Traversée royale du Mont-Blanc : De l’Aiguille de la Bérangère aux Dômes de Miage
Après quelques heures de sommeil, nous nous réveillons à 2 h 30 pour quitter le refuge des Conscrits à 3 h 30. Nous nous élançons de nuit vers l’Aiguille de la Bérangère. La neige est ferme sous nos pieds, les conditions sont exceptionnelles. Nous progressons rapidement et, peu avant l’aube, nous atteignons le sommet de l’Aiguille, à 3425 m d’altitude. Dès le lever du jour, le soleil brûle et je suis en nage. Mais, peu importe, je suis heureux tant que je suis là-haut. Autour de nous, le paysage est merveilleux. Je photographie les Alpes baignées d’une lumière douce aux teintes féériques. Tant de beauté en un souffle à peine. J’aperçois le mont Blanc qui s’élève à l’horizon. Il est si loin de nous que Johann et moi ne pouvons distinguer les alpinistes, pourtant nombreux, qui parcourent ses crêtes. Quel étrange sentiment de se dire que, le lendemain, nous l’aurons nous aussi rejoint.
Après cette courte pause au sommet de l’Aiguille de la Bérangère, l’arête nous guide vers les Dômes de Miage. Peu à peu, le mont Blanc se fait plus imposant. D’un Dôme à l’autre, nous avançons entre terre et ciel sur une crête magnifique. Arrivé au dernier Dôme de Miage, je me retourne pour photographier les cordées qui nous suivent. Frêles silhouettes en équilibre sur le dos des Alpes. L’Aiguille de Bionnassay se dresse face à nous. Elle est si gigantesque qu’elle semble imprenable. Il me tarde déjà de la conquérir. Je rêve de ce jour depuis tant d’années. Mais, il nous faut déjà atteindre en contrebas le refuge Durier.

Traversée royale du Mont-Blanc par Bionnassay : Le refuge Durier, au sommet des Alpes
Sur l’arête qui nous mène au col de Miage et à la cabane, les corniches menacent, mais la vue est magique. La montagne scintille et l’on se croirait presque dans l’Himalaya tant la neige est présente sur les hauts reliefs. Nous terminons cette course en rappel et franchissons les portes du refuge Durier à 10 h du matin. Nous sommes très bien accueillis par Manon, la gardienne des lieux. L’abri, encore recouvert de neige, ne peut recevoir qu’une vingtaine d’alpinistes. À l’intérieur, les lits sont imbriqués les uns sur les autres et, pour éviter les effets néfastes de la promiscuité, une planche sépare chaque couchage. Le confort est minime, mais nous pouvons dormir et nous restaurer. C’est l’essentiel.

En revanche, si vous effectuez la traversée royale du Mont-Blanc par l’Aiguille de Bionnassay, sachez que le passage le plus périlleux de toute la course se trouve ici, au col de Miage. Ce n’est pas la montagne qui vous tend un piège, mais bien le refuge. Je plaisante, bien sûr, mais si vous osez vous aventurer jusqu’à ses toilettes, restez tout de même sur vos gardes. Au bas de quelques marches, un palier est aménagé au bord du précipice. Imaginez la scène : il suffit que votre pied glisse sur le verglas pour que votre expédition tourne au drame. Vous voilà projeté contre une barrière et, si les planches cèdent, à vous le grand saut ! Quant aux toilettes elles-mêmes, il faut espérer qu’elles sont solidement arrimées au rocher. Vous l’aurez deviné, je n’y ai passé que peu de temps, et je ne m’y suis pas risqué la nuit !
Mais revenons maintenant à notre traversée. Nous nous reposons toute la journée. Attendre au calme que les heures passent et reprendre des forces. Sous un ciel voilé, gorgé des cendres des incendies qui frappent alors le Canada, nous pensons déjà au lendemain. Le soir, le vent se met à souffler, les nuages s’emparent des hauts sommets. Et nous nous demandons ce que le temps nous réserve pour la suite de notre traversée.
Après le dîner, nous apercevons une cordée d’alpinistes anglais partis peu après nous du refuge des Conscrits. La haute montagne est imprévisible et, d’une heure à l’autre, les conditions changent du tout au tout en altitude. La neige ferme devient molle, on s’y enfonce jusqu’aux cuisses. Chaque enjambée devient une épreuve et plus on s’épuise, moins l’on avance. En voyant ces hommes au loin, je les photographie. Puis, je vais me coucher, comme mes camarades. Nous nous endormons si vite qu’aucun de nous n’entend les Anglais passer la porte du refuge.

Cette nuit-là, je suis serein. Prêt à réaliser mon rêve. Cela fait tant d’années que je contemple l’Aiguille de Bionnassay. Que je l’admire et que je la photographie. Elle est toute proche et je me sens bien. Notre montée a été progressive, je m’y étais bien préparé et je ne ressens pas le mal des hauteurs. C’est presque trop facile, tout va un peu trop bien. C’est là où le bât blesse. Car j’aime la montagne qui me met face à mes limites. La montagne implacable, inaccessible. La montagne qui exige de l’homme qu’il se surpasse. J’aime me confronter à la démesure, braver les forces de la nature. Et puiser au fond de moi ce qu’il me reste d’énergie pour franchir les obstacles et tutoyer le ciel. Les Alpes m’inspirent quand elles sont invincibles. Mais, je ne ressens ici ni doute ni crainte, juste de l’enthousiasme. Ce sentiment étrange me berce jusqu’à l’aube.
Le réveil sonne à 1 h 30. J’ai la migraine et un torticolis. Ce n’est pas le moment. La journée va être longue et je dois être en forme. Sans me poser de question, j’avale un comprimé d’aspirine et je croise les doigts pour que la douleur passe. Nous sommes deux cordées à partir si tôt. Les autres alpinistes dorment profondément. Alors, nous déjeunons tous les quatre en silence à la lueur rouge de notre lampe frontale.
Traversée royale du Mont-Blanc : Ascension de l’Aiguille de Bionnassay
Johann et moi quittons le refuge Durier à 2 h 45. Il fait encore nuit noire et la pente est raide. Je sens mon pouls grimper dès les premiers mètres. Les rochers succèdent à la neige et nous nous arrêtons pour laisser à Johann le temps d’ajuster nos cordes. À partir de là, nous devons en effet escalader la paroi rocheuse. Sous les lueurs bleutées de la pleine lune, nous nous élançons au sommet de l’Aiguille de Bionnassay.

Nous progressons rapidement le long de l’arête. Même si les passages délicats sont rares, je suis heureux d’avoir Johann à mes côtés. J’ai une totale confiance en lui. Il est incroyable d’audace, de sang-froid et de discernement. Il m’accompagne, il m’assure, me retient, et je sais qu’avec lui, tout se passera bien. Après avoir franchi cette section rocheuse, nous atteignons enfin l’arête de neige nous ouvrant la voie vers le sommet. Et quand nous arrivons enfin à la cime de l’Aiguille de Bionnassay, j’ai les larmes aux yeux. Il est 5 h du matin. Aux premières lueurs, le ciel s’enflamme comme mon cœur s’éveille à la splendeur des Alpes. Je viens de gravir mon 63e sommet de plus de 4000 m.

Nous avons réussi. Et pourtant, je le sais, ce n’est qu’un début. C’est à cet instant que tout commence. L’ascension du mont Blanc, apothéose de cette traversée royale par Bionnassay. Devant nous, l’arête qui relie l’Aiguille de Bionnassay au Dôme du Goûter mène au Toit de l’Europe. Je vous conte la suite de cette expédition dans un second récit.