Un projet né en deux temps…
L’idée est venue de Dino Lora Totino (1900-1980), ingénieur et fabricant de laine de Turin, et de Carlo Mollino. Totino était connu comme le comte de Cervinia, car il y avait déjà construit des téléphériques dès le début des années 1930. Il avait aussi déjà réalisé à Chamonix le téléphérique de l’Aiguille. Les deux hommes prévoyaient un téléphérique en deux parties : la première entre Breuil et le Furgggrat et la seconde entre ce dernier et le sommet du Cervin. L’idée serait apparue dans un deuxième temps : si l’on fait un téléphérique jusqu’au Furgggrat, pourquoi ne pas continuer jusqu’au sommet du Cervin ? Totino et Mollino avançaient notamment comme argument qu’il serait plaisant pour les passagers du téléphérique de regarder, en toute sécurité depuis la cabine, les alpinistes gravissant la cime à travers rochers et névés.
… qui attire des critiques
Ce téléphérique a, comme le projet de 1907, défrayé la chronique et attiré de nombreuses critiques, à commencer par la région autonome d’Aoste, qui le faisait pour protéger la beauté naturelle du site. Car comme en 1907, l’un des principaux arguments contraires au téléphérique est d’ordre esthétique : les remontées mécaniques sont rejetées car elles défigurent la montagne.
Une nouvelle fois, certains n’hésitent pas à parler de profanation : le Cervin, et par extension la haute montagne dans son ensemble, est donc sacré. Pour autant, dans les années 1950, le lien entre cette montagne sacrée et les valeurs d’un pays est beaucoup moins présent dans les esprits, et ne se retrouve que peu dans les oppositions. Le musée alpin de Berne a organisé une exposition thématique sur le Cervin destinée à attirer l’attention sur ce que signifierait la construction du téléphérique projeté sur le plus célèbre et le plus altier des sommets alpestres.
Certains ont même vu dans ce téléphérique une menace non seulement pour le Cervin, mais aussi pour l’ensemble des Alpes, jugeant qu’il serait la défaite de la royauté alpestre et que la couronne passerait définitivement à l’Himalaya… et que c’est là qu’il faudrait aller chercher les émotions procurées par une nature inviolée.
Des alpinistes particulièrement opposés au projet
Encore plus qu’en 1907, les milieux alpinistes se sont opposés au téléphérique, sous l’égide de l’Union Internationale des Associations d’Alpinisme qui le fait dès fin septembre 1950, après s’être réunie à Milan. Elle lance même une pétition. Le Club alpin italien, résolument opposé au téléphérique, souhaitait même que d’autres pays viennent se mêler des affaires intérieures de l’Italie et interviennent auprès des autorités italiennes pour empêcher sa construction.
L’Angleterre s’y mêle
Ce téléphérique a également provoqué une levée de boucliers en Angleterre, où de nombreux lecteurs prennent la plume pour protester dans la presse contre le projet. C’est le cas de la fille de Whymper, premier ascensionniste du Cervin, qui proteste et rappelle le caractère unique du Cervin. Selon elle, il serait justement détruit par la construction du téléphérique. La possibilité que le gouvernement britannique demande aux gouvernements suisse et italien a même été envisagée. Mais finalement rien n’a été fait, pour la simple et bonne raison qu’il s’agit de questions internes aux pays en question.
Dans un deuxième temps, peut-être pour parer aux oppositions venues des milieux alpinistes, Lora Totino a étoffé son projet, prévoyant d’installer au sommet du Cervin une station goniométrique pour guider les avions survolant les Alpes. Ce revirement n’a pas plu et il a surtout été relevé que si une telle station était vraiment nécessaire à la sécurité aérienne, elle aurait déjà été construite… et que dans tous les cas de figure elle peut se faire ailleurs que sur le Cervin.
Premier coup d’arrêt
Le premier coût d’arrêt est venu de Suisse, lorsque le Conseil fédéral a décidé – en le faisant savoir au gouvernement italien – que ni la ligne ni la station sommitale ne devaient empiéter sur le territoire suisse. Or, il est pour ainsi dire impossible de construire un tel téléphérique et les infrastructures correspondantes au sommet du Cervin sans outrepasser la frontière.
Cette décision a eu un impact direct sur la station de Furgggrat en compliquant sa construction au point de retarder sa mise en service d’au moins une année. Le gouvernement italien, se basant sur la législation en vigueur sur la protection de la nature, a finalement refusé la concession à l’automne 1952, avant de le placer sous protection, le reconnaissant comme un monument international, ce qui était justement le but de la pétition lancée par le comité international pour la sauvegarde du Cervin.
On ne touche pas au Cervin !
L’opposition au funiculaire au début des années 1950 est d’une intensité légèrement moindre à celle essuyée par le chemin de fer en 1907. Le contexte social et culturel différent, en Suisse comme en Europe, a pour conséquence que l’identification de la nation aux Alpes, voire à une montagne particulière, est beaucoup moins présent. Ainsi, le caractère national du Cervin, l’emblème de la nation, n’est avancé que par de rares personnes. Si l’argument esthétique de la dénaturation du Cervin est commun aux deux oppositions, force est de constater qu’il est plus adéquat dans le cas du téléphérique que du funiculaire interne. L’importance du Cervin comme montagne privilégiée de l’alpinisme s’est renforcée en quatre décennies et beaucoup pointent du doigt la trop grande facilité d’accès permise par des remontées mécaniques ainsi que l’impossibilité de profiter d’une vue si elle n’a pas été acquise dans l’effort, voire la souffrance. Mais dans les deux cas, l’argument principal reste qu’on ne touche pas au Cervin… parce que c’est le Cervin.
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